Reims voit la couleur du tram
Pourquoi faire le déplacement jusqu'à la cité des sacres ? Pas en premier lieu pour voir un tramway, chose qui devient banale malgré l'imagination des designers pour créer des véhicules personnalisés pour chaque ville. Plutôt pour prendre la température, s'imprégner d'une ambiance, rencontrer les habitants et recueillir leurs réactions. Aussi pour avoir déjà vu une inauguration lorsque viendra le jour J, à Tours. |
La ligne en chiffres 11,2 kilomètres de double voie ont été posés dans l'agglomération sous forme d'une ligne principale dotée d'une antenne vers le sud-est. Le secteur du centre-ville fait comme à Tours l'objet d'une alimentation par le sol, fournie par Alstom, tout comme les 18 rames de 30 mètres de long. 340 millions d'euros hors taxe ont été dépensés. 23 stations sont desservies, dont trois jouxtent une gare. Chaque rame est peinte dans l'une des huit couleurs choisies par les habitants, excepté trois exemplaires gris destinés à recevoir des pelliculages publicitaires. Une ou deux lignes ? ![]() Cette première ligne, de 11,2 kilomètres avec une antenne vers la gare Champagne-Ardenne TGV, implantée à Bezannes, est exploitée en deux lignes, A et B, qui comportent un important tronc commun. Ce choix permet sans doute une plus grande lisibilité du réseau pour exploiter l'antenne, mais il est difficile de dire que Reims a aujourd'hui deux lignes de tram. Les médias et les Rémois parlent d'ailleurs d'un projet de « seconde ligne » quand ils évoquent une éventuelle extension du réseau. Le tramway politique Viennent les municipales de 2008. La droite arrive divisée avec le sortant Jean-Louis Schneiter, Renaud Dutreil, investi par l'UMP, et la ministre Catherine Vautrin, face à la socialiste Adeline Hazan. Les deux femmes sont favorables au projet Schneiter mais ne le disent pas trop fort, tandis que M. Dutreil se positionne contre. Des soupçons de forcing pour empêcher une déclaration d'utilité publique planent encore. On suppose que Mme Vautrin aurait joué de ses relations pour qu'elle soit prononcée, mettant ainsi en difficulté son rival de droite. C'est ce qui est arrivé, quatre jours avant le premier tour. Finalement, conséquence des divisions à droite, Mme Hazan est élue au second tour face à Mme Vautrin qui a récupéré l'étiquette UMP. Adeline Hazan et Jean-Louis Schneiter inaugurent le tram ensemble. Le contrat signé, la DUP prononcée, elle prend en main une ville en travaux. Elle ajoute tout de même sa touche personnelle au projet, bouclé dans ses grandes lignes, en revoyant les choix de mobilier urbain, notamment. L'inauguration du tram est donc un tournant dans son mandat. Elle dit avoir « envie » d'une deuxième ligne, mais préfère attendre que les Rémois « digèrent et s'approprient » cette première ligne. Un design inspiré C'est le designer franco-suisse Ruedi Baur qui a dessiné les rames du tramway de Reims, en partenariat avec l'agence MBD Design. Le nez est inspiré de la forme d'une flûte à champagne, tandis que la déclinaison en huit couleurs vives provient des précédents travaux de l'artiste. La ligne On aime Les amorces de lignes. A deux endroits, les appareils de voie amorçant d'éventuelles futures lignes sont déjà en place. Rien n'est décidé pour la suite du réseau, mais les corridors probables sont connus et anticipés. Ces amorces, si elles servent effectivement un jour, permettront d'étendre le réseau sans interrompre le trafic de la première ligne pour y installer les aiguillages. On verrait bien le même principe s'appliquer au carrefour de Verdun ou place Jean Jaurès, à Tours. Un modeste investissement qui n'engage à rien mais qui peut faciliter les choses dans l'avenir... On n'aime pas Les quais des stations, trop courts pour accueillir un jour des rames de 40 mètres. Qui dit qu'un jour la fréquentation ne justifiera pas d'allonger les rames Citadis 302 actuelles ? Au coût de l'extension des rames, il faudra alors ajouter celui de l'allongement des quais.
L'inauguration On aime L'esprit festif et populaire, la volonté d'associer tous les habitants à l'événement, notamment avec une traduction des discours inauguraux en langue des signes ou leur diffusion en direct sur le net.
On n'aime pas Le coût élevé (836 000 euros hors taxe) des festivités, sévèrement critiqué à Reims. Y aurait-il moyen de marquer le coup et de s'amuser de façon un peu plus sobre ? A Angers, le maire a cédé sous les critiques, revoyant à la baisse sa facture de 400 à 150 000 euros pour l'inauguration de juin prochain.
| En sortant de la gare, alors qu'il est à peine neuf heures trente, la ville a le calme d'un samedi matin provincial comme les autres. Pas réellement d'air de fête, et une ligne de tramway fantôme. A la station Gare centre, déserte, l'affichage électronique indique un laconique « pas de service », qui alterne avec un message « Reims fête le tram ». Seul indice, la fréquentation des lignes de bus, déjà gratuites, est importante. On compte beaucoup de voyageurs debout pour un samedi matin. Tant que la ligne n'est pas en service, on peut observer de près l'alimentation par le sol de seconde génération, revue et corrigée après les problèmes bordelais. Reims est la seconde ville de France à mettre cet équipement en service. C'est en s'approchant du centre-ville que l'on constate que ce 16 avril n'est pas un jour comme les autres à Reims. En arrivant place Myron T. Herrick, des techniciens gonflent des ballons à l'hélium. Une estrade a été montée, associée à des écrans géants, au droit d'une courbe prononcée de la ligne de tram. Surtout, une araignée géante est suspendue le long de la tour nord de la célèbre cathédrale, dont la ville fêtera les 800 ans dans moins de trois semaines. A dix heures, c'est le départ des rames inaugurales, aux extrémités de la ligne. Personne n'a collé son oreille sur le rail pour tenter de détecter leur arrivée, mais les commerçants sont là, sur le pas de leur porte, un peu fébriles à l'aube d'un changement radical dans la vie de leur commerce. En attendant, les préparatifs se terminent, le chœur d'enfants répète ses chansons à la gloire du tram dans un centre-ville encore bien clairsemé. Les médias sont bien présents : France Bleu Champagne a installé son plateau sur le perron du Palais de Justice, juste à côté de la station Opéra. France 3 se prépare également à prendre l'antenne pour une émission régionale spéciale. Les cadreurs de la communauté d'agglomération Reims Métropole sont également présents : ils devront diffuser en direct les discours inauguraux sur un site web dédié au week-end de festivités. Le quotidien l'Union, associé au cahier spécial tramway. Le tram fait la une ! Après avoir acheté le quotidien régional l'Union, qui publie ce jour-là un numéro spécial, et parcouru la rue de Vesle, je reviens place Myron T. Herrick et constate que les Rémois commencent à affluer le long des barrières Vauban. Il est moins une me glisser au premier rang, bien placé à la fois pour photographier la tribune et pour voir arriver de près la marche inaugurale. Il est bientôt onze heures. Le choeur a fini de répéter. La foule est désormais compacte. Les écrans géants diffusent des spots faisant la promotion du tram avec des séquences micro-trottoirs soigneusement sélectionnées. Il faut donner la meilleure image du mode de transport et des choix esthétiques. Les difficultés liées aux travaux ne doivent apparaître que comme un mauvais souvenir. Le temps est aussi de la partie : pas un nuage à l'horizon pour venir ternir la grande fête. Adeline Hazan, maire de Reims et présidente de l'agglomération, fend la foule entre le tramway inaugural et l'estrade où elle prononcera son discours. La marche inaugurale se pointe au bout de la rue de Vesle, où on aperçoit les motos de police et les feux d'un tram... ou deux, plutôt. Deux rames circulant de front s'approchent. Non, il n'y en a pas deux, mais six, trois sur chaque voie ! Pareil de l'autre côté, où un convoi de six rames colorées arrive par le cours Langlet. Les douze rames s'immobilisent en coeur dans la courbe de la place, et déversent le gros milliers d'officiels et de privilégiés qui ont parcouru une moitié de la ligne avant les autres. Adeline Hazan, maire PS de Reims, se dirige vers le chœur d'enfants qui entonne ses mélodies, puis monte sur l'estrade. Les applaudissements ne sont pas généraux, mais on n'entend aucune marque d'hostilité à celle qui a dû faire face aux mécontentements des travaux pendant trois ans. Adeline Hazan prend la parole en premier. Le discours de Mme Hazan est convenu, pas vraiment flamboyant mais rend bien compte de l'importance du moment pour l'agglomération dont elle est la présidente. Elle reconnaît volontiers la paternité du projet à son prédécesseur M. Schneiter, qui l'écoute en bas de la tribune. « Vous avez eu une intuition politique. Cette intuition a été la bonne » a déclaré la maire, qui dans un climat de respect mutuel voire de complicité, à appeler le « père » du tramway à la rejoindre. Dans un style plus tribun, Jean-Louis Schneiter n'a pas caché sa satisfaction. Il a même encouragé celle qui lui a succédé à envisager sérieusement de nouvelles lignes, ajoutant non sans humour « puisque vous en avez pris pour trente ans à la tête de la ville ». Restant dans l'esprit bon enfant et festif, il a tout de même dégainé une lame acérée pour condamner l'actuelle droite rémoise qui a boycotté la cérémonie, notamment en raison de son coût jugé trop élevé. Mme Vautrin et M. Dutreil ont été respectivement mentionnés sous les appellations « une ministre du gouvernement Raffarin […] qui s'est souvent trompée » et « un ectoplasme de passage ». Le sens de la formule de l'ancien maire a fait sensation. Celui-ci a lancé fermement : « Je veux faire une remarque à l'opposition municipale. Quand on est élu, on ne boycotte pas une inauguration ! » Se succèdent alors au pupitre Christian Messelyn, président de la société concessionnaire Mars, et le préfet de la Marne Michel Guillot qui rappelle le soutien du gouvernement aux projets de tramway, et sa participation financière via le Grenelle Environnement et la Dynamique Espoirs Banlieues. Les discours terminés, les autres acteurs du projet se réunissent sur l'estrade en s'attroupant autour d'un grand buzzer. En appuyant dessus, ils déclenchent le grand lancer de ballon et le départ des 12 rames arrêtées sur la place. Reims a son tram, ça y est. Inauguration sans ministre pour le premier tram cofinancé par le Grenelle Environnement. Il est environ midi et les festivités démarrent. Le réseau gratuit est officiellement ouvert à tous, même s'il faudra attendre une vingtaine de minute dans les stations du centre-ville pour goûter au tramway. Ceux qui ont décidé de tenter l'expérience sur l'heure du déjeuner sont les grands gagnants, car les rames sont bondées dès le début de l'après-midi. J'arrive quand même à embarquer à la station Vesle, juste derrière le conducteur que l'on voit par une grande vitre. Sitôt quittée cette rue piétonne, une franche accélération nous fait atteindre les 45 kilomètres heure sur le pont de Vesle. Le freinage est sportif pour aborder la station au débouché du pont. Il faudra prendre l'habitude de bien se tenir. On entend les informations que le conducteur reçoit depuis le PCC à travers la vitre. « On va maintenant se caler sur une fréquence de six minutes. Attention notamment rue de Vesle, il y a vraiment du monde. Bon courage ! » débite une voix ferme et stressée. Je vais jusqu'au terminus, l'hôpital Debré. J'aurais préféré aller à la gare TGV, mais les marches inaugurales assurent plutôt la ligne A. Tout le monde descend, laisse le conducteur rebrousser sur une voie en tiroir, et attend la rame sur le quai opposé pour retourner en centre-ville. Une manière d'utiliser le tram qui ne perdurera certainement pas ! Pas encore trop de monde à 13 heures 30 en direction de l'hôpital Debré. Je fais de même, et je parviens à trouver une place assise. Le retour vers le centre-ville se déroule sans anicroche, excepté un incident passager qui retardera de quelques secondes notre redémarrage d'une station. Alors que le conducteur annonce le problème sans préciser la cause, quelques mauvaises langues se font entendre : « Ça y est, ça commence ! », glissent des voyageurs, tandis qu'une bonne partie descend immédiatement... et voit la rame repartir sous son nez, une poignée de secondes plus tard ! A la station Opéra, les quais sont toujours noirs de monde. Beaucoup n'ont pas encore pu essayer leur tram en ce milieu d'après-midi. Alors que les terrasses sont pleines, les commerçants rivalisent d'imagination pour accueillir le tram, comme ce chocolatier qui a dessiné le tram sur ses oeufs de Pâques ou ce coiffeur qui propose des extensions de cheveux aux couleurs des tramways. Réalisées sur le trottoir, bien-sûr, pour mieux admirer les rames qui se succèdent. Dans une atmosphère de fête, l'araignée géante Kumo, s'est détaché de la cathédrale. Elle attend sur le parvis le départ de son tour du centre-ville, qui n'aura pas manqué de perturber la circulation des trams. Mais avec un train en fin d'après-midi, je n'assistera pas à cette parade, pas plus qu'au spectacle pyrotechnique prévu le soir. Je quitte Reims l'esprit tranquille, car tout roule ! |
Qu'en disent les commerçants ? La boutique Oliviers & Co est installée sur le cours Langlet où passe le tram, tout près de la place Myron Herrick. La gérante raconte : « Les travaux ont été un peu difficiles. J'ai ouvert en 2004 et j'ai choisi cet endroit parce que c'était la plus belle avenue de Reims. Deux ans après, on nous parlait du tramway et les fouilles archéologiques ont commencé en 2007. Il n'y avait plus autant de stationnements qu'au début. Après, ce sont des lignes de bus qui sont passées sur l'avenue, mais cela ne nous a pas amené plus de clients. » S'en suivent trois ans de travaux pour construire le tramway proprement dit. « On dit que ce n'est pas énorme, mais pour un commerce, c'est très long. C'étaient les trous devant la porte, les difficultés d'accès, la poussière... Avec les barrières sur le trottoir, les gens ne venaient plus. » Une commission d'indemnisation a été mise en place, comme à Tours, pour réparer les pertes. « Pas à la hauteur de ce qu'on a perdu en chiffre d'affaire », souligne tout de même la gérante d'Oliviers & Co, tout en reconnaissant sa « chance » d'avoir pu profiter de cette initiative. Mais il est surtout temps d'évoquer l'avenir, apparemment radieux, de ces commerçants riverains du tram. « J'étais contre le tramway car on était très bien desservi par la TUR [ancien nom du réseau de transport rémois, aujourd'hui rebaptisé Citura, NDLR]. Aujourd'hui, je trouve que c'est magnifique, qu'un beau travail a été mené. Je souhaite maintenant retrouver mes clients, et même de nouveaux dans les années à venir ! » La boutique Oliviers & Co sur le très chic cours Langlet, où le tram circule sur une pelouse. Rue de Vesle, une artère un peu équivalente à notre rue Nationale, les commerces semblent avoir tenu le choc. Rien de plus normal dans la partie est de le rue, où sont principalement installés des grandes chaînes de magasins. Plus loin, il y a plus d'indépendants. Une boutique demeure curieusement à louer face aux quais de la station Vesle. Nul doute qu'elle trouvera rapidement preneur. |