Tram-train : la fausse bonne idée ?
Cette semaine, une poignée d'habitants et d'associations tourangeaux (1), dont la plupart avaient exprimé publiquement leurs réserves sur le projet présenté en enquête publique, ont remis au Préfet d'Indre-et-Loire un dossier pompeusement intitulé "Convergence d'analyse et d'orientation sur le projet de première ligne de tramway de l'agglomération tourangelle". Le but est notamment de réorienter le projet vers un tram-train, tandis que le dossier invite le Préfet à ne pas signer la Déclaration d'Utilité Publique du projet actuel... malgré l'avis favorable de la Commission d'Enquête - indépendante au demeurant - à l'unanimité de ses membres. Regardons de plus près ce dossier qui représente la dernière tentative politique - presque désespérée - de couler le projet actuel.
Le dossier n'hésite donc pas à remettre en cause les conclusions de la commission, qui, selon lui, n'a pas suffisamment pris en compte les observations des habitants pour trop souvent se conformer aux réponses de la maîtrise d'ouvrage. Cette analyse est agrémentée de chiffres quelque peu fantaisistes, comme lorsqu'il est mentionné que la première ligne de tramway est un "investissement de l'ordre de 800 millions d'euros" alors que le projet est estimé à moins de 370 millions, matériel roulant compris.
La seconde partie est consacrée à la réorientation vers un tram-train. Malheureusement, elle se cantonne à quelques lignes de généralités sur le système de tram-train, même si ses avantages sont tout de même bien listés. Un tram-train est un véhicule ferroviaire hybride qui a l'allure d'un tramway mais des caractéristiques le rendant apte à circuler sur le réseau ferroviaire, a priori en côtoyant du matériel lourd classique. Stricto sensu, il doit donc y avoir une connexion physique entre un réseau de tramway urbain, établi sur le domaine public (les rues de la ville) et le réseau ferré national.
Le fait d'avoir le même écartement de 1 435 millimètres sur le réseau urbain et sur le réseau ferré national est évidemment une condition sine qua non à la mise en place d'un tel système, et le dossier remis en préfecture se réjouit à juste titre de voir cette condition remplie à Tours. Mais il oublie l'essentiel : où et surtout comment créer ces connexions entre réseau urbain et réseau ferroviaire ? Pour quelles origines et destinations ? Et surtout, sur quel réseau urbain (car il en faut bien un) se base-t-on pour mettre en place un tram-train, si ce n'est celui pour lequel on attend une décision préfectorale pour la fin de l'année ? Beaucoup s'accordent à penser qu'un tram-train serait pertinent à Tours, y compris des acteurs du projet actuel comme Jean Germain ou Jean-Pierre Lapaire ou des soutiens comme le géographe Jean-François Troin. Il ne faut donc pas proposer un tram-train pour un tram-train, mais débattre sur un véritable réseau à mettre en place dans le futur à l'échelle de l'aire urbaine. L'objectif est de savoir s'il y a un intérêt à relier directement, par exemple, le lycée Jean Monnet à la gare d'Amboise ou le lycée Vaucanson à Langeais. Et ce schéma d'exploitation est absent d'un dossier pourtant partiellement rédigé par un géographe et un urbaniste !
Deux principaux matériels se partagent à ce jour le marché français du tram-train : le Citadis Dualis d'Alstom (à gauche), choisi pour l'ouest lyonnais et Nantes-Châteaubriant, et l'Avanto de Siemens sélectionné à Mulhouse et en Seine-Saint-Denis (à droite). Photo de gauche : (Aliesperet, Wikipedia Commons). Nantes, 6 février 2010. Photo de droite : (Maryanna, Wikipedia Commons). Gargan, 26 mars 2007. Il convient toutefois d'ajouter le suisse Stadler qui a produit les rames du tram-train lyonnais Part-Dieu - Saint-Exupéry.
Car les auteurs du dossier se noient dans un verre d'eau en affirmant que le choix de rames de 2,40 mètres de largeur ferme définitivement la porte au tram-train, et qu'il aurait absolument fallu baser le projet sur un gabarit de 2,65 mètres. Ce gabarit de 2,40 mètres est majoritaire en France, et l'idée du tram-train envahit le pays. Comment penser que les constructeurs ne vont pas proposer dans les mois à venir du matériel tram-train de 2,40 mètres de large ? Le coût actuel du projet est dénoncé par certains comme trop élevé, les mêmes qui affirment par ailleurs qu'il aurait fallu commander des tramways larges et donc nécessairement plus chers. Cherchez l'erreur.
Le projet actuel semble donc compatible avec le déploiement futur d'un tram-train dans l'aire urbaine tourangelle, à condition qu'un matériel tram-train compatible avec l'alimentation par le sol voie le jour. Les obstacles à cette mise en place demeurent plutôt dans la connexion avec le réseau ferré (voir le second encadré).
Tram-trains français : les faux et les vrais Ironie de ce dossier : les mêmes qui ne voulaient pas céder à la mode du tramway urbain cèdent à celle, plus récente, du tram-train en citant des exemples : Aulnay - Bondy, Strasbourg, Nantes - Châteaubriant et Mulhouse - Thann. Les faux tram-trains La ligne Aulnay - Bondy appartient entièrement à RFF (Réseau Ferré de France) et ses rames ne pénètrent pas d'une demi-roue sur un réseau urbain. C'est donc un faux-tram-train qui circule sur une voie ferrée modestement déguisée en tramway (notamment avec des passages à niveau signalés comme des traversées de tramway ) mais qui conserve des caractéristiques ferroviaires comme l'électrification. Le tram-train de l'ouest lyonnais circulera également sur des emprises exclusivement ferroviaires.
Le tram-train Aulnay - Bondy est dans la catégorie des faux, mais il est sans doute le plus pertinent de sa catégorie car c'est le seul qui soit réellement implanté en zone urbaine. (Oxam Hartog, Wikipedia Commons). Les Coquetiers, 10 décembre 2006. Sur Nantes - Châteaubriant, il n'y aura pas non plus de connexion avec le réseau de tramway urbain nantais ; les rames arriveront... en gare de Nantes, à côté des TER et autres TGV, et les voyageurs devront quitter la gare pour aller prendre leur tram urbain. Ce projet n'a de tram-train que les rames, vendues comme telles. Il ne permet la réouverture de la ligne Nantes - Châteaubriant qu'avec un investissement minimal et une rupture de charge à Châteaubriant (où l'on aura la situation ubuesque de deux heurtoirs se faisant face) pour les voyageurs souhaitant rallier Rennes. Une fausse bonne idée pour relier deux grandes capitales régionales séparées par des territoires ruraux. Les vrais tram-trains Mulhouse sera, dans les toutes premières semaines, la première ville française à s'équiper d'un tram-train. Le projet mulhousien est véritablement une réussite. Il a fallu électrifier la petite ligne jusqu'à Thann et créer la connexion physique avec le réseau urbain. Les rames relieront ainsi la petite ville de la vallée de la Thur au parvis de la gare de Mulhouse sans rupture de charge. Strasbourg va également s'équiper du même système en reliant le Piémont des Vosges à l'hypercentre via Molsheim. Et pourtant les rames du tramway urbain strasbourgeois ont un gabarit de... 2,40 mètres. |
Le tram-train possible à Tours ? En janvier dernier, les élus du Sitcat avaient manifesté leur incompréhension après qu'un responsable de Réseau Ferré de France a qualifié d'utopique tout projet de tram-train (2). Sans étude réellement aprofondie, nul ne peut affirmer qu'un tram-train est possible ou non à Tours, mais de sérieuses difficultés doivent être mentionnées : d'abord, les circulations tram-train sur le réseau ferré national doivent s'insérer dans des graphiques déjà chargés de TGV, TER ou trains de fret qui n'ont pas du tout les mêmes capacités d'accélération et de freinage et des politiques d'arrêt différentes. En clair, difficile de faire circuler sur la même voie un tram-train à 100 km/h qui s'arrêtera tous les kilomètres et un TGV sans arrêt à 160 km/h. Il faut ensuite vérifier la faisabilité des interconnexions, gérer les différents modes et courant d'électrification. Enfin, les différences de hauteur de quai obligent à différencier les zones d'arrêt des trains et ceux des tram-trains. Les tram-trains actuellement en cours de réalisation seront exploités conjointement par la SNCF et les exploitants urbains dans le cadre de partenariat entre conseils régionaux (TER) et agglomérations. Ils circuleront d'ailleurs sous le label TER avec une livrée régionale clairement identifiée. Il faut aussi réfléchir sur ce point : la région est-elle compétente à organiser un réseau sans vocation régionale, puisqu'un tram-train a un rayon d'action au mieux départemental ? La question dépend sans doute de l'avenir des départements, lié à la réforme des collectivités territoriales. |
(1) Le dossier est cosigné de la Sepant (Michel Durand), de l'Aquavit (Jean-Michel Bouillet), de TCSP 37 (Françoise Amiot), de Vélorution Tours (Sophie Robin), de l'Union des Commerçants et Artisans de Tours (Jean-Jacques Hébras), de Cécile Jauzenque, Michel Laurencin, Alain Beyrand, Pascal Oréal, Dominique Boutin, Bruno Dewailly et François Louault. La version intégrale est accessible ici.
(2) Voir la Nouvelle République du 22 janvier 2010 : "Tram-train : "surprise" au Sitcat".